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Contemporanéité de la Commune de Paris (1) 
Julien Machillot, 14 juillet 2023

« La grande mesure sociale de la Commune, Ce fut sa propre existence et son action. »

Karl Marx

 

« Qui donc parlait de guerre civile ?

L’Officiel seul. »

                            Prosper-Olivier Lissagaray

Qu’est-ce qu’a été la Commune de Paris, entre le 18 mars et le 28 mai 1871, soit durant les 72 jours de son existence ? Une reprise en main sans précédent et à ce jour unique dans l’histoire politique moderne de la direction des affaires publiques par les ouvriers, en l’occurrence les ouvriers parisiens. 

C’est ce qu’exprime clairement la déclaration parue au Journal officiel le 21 mars : 

 

« Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques. »  

 

Cette déclaration, il convient de la citer plus longuement : 

 

« Ils ont usé du pouvoir que le peuple a remis entre leurs mains avec une modération et une sagesse qu’on ne saurait trop louer.

Ils sont restés calmes devant les provocations des ennemis de la République, et prudents en présence de l’étranger. Ils ont fait preuve du plus grand désintéressement et de l’abnégation la plus absolue. A peine arrivés au pouvoir, ils ont eu hâte de convoquer dans ses comices le peuple de Paris […]. Il n’est pas d’exemple dans l’histoire d’un gouvernement provisoire qui se soit plus empressé de déposer son mandat dans les mains des élus du suffrage universel […]. 

 

Les travailleurs, ceux qui produisent tout et qui ne jouissent de rien, ceux qui souffrent de la misère au milieu des produits accumulés, fruit de leur labeur et de leur sueur, devront-ils être sans cesse en butte à l’outrage ?

 

Ne leur sera-t-il jamais permis de travailler à leur émancipation sans soulever contre eux un concert de malédictions ?

La bourgeoisie, leur aînée, qui a accompli son émancipation il y a plus de trois quarts de siècle, qui les a précédés dans la voie de la révolution, ne comprend-elle pas aujourd’hui que le tour de l’émancipation du prolétariat est arrivé ? 

Les désastres et les calamités publiques dans lesquels son incapacité politique et sa décrépitude morale et intellectuelle ont plongé la France devraient pourtant lui prouver qu’elle a fini son temps, qu’elle a accompli la tâche qui lui avait été imposée en 89, et qu’elle doit sinon céder la place aux travailleurs, au moins les laisser arriver à leur tour à l’émancipation sociale.

En présence des catastrophes actuelles, il n’est pas trop du concours de tous pour nous sauver. 

Pourquoi donc persiste-t-elle avec un aveuglement fatal et une persistance inouïe à refuser au prolétariat sa part légitime d’émancipation ? Pourquoi lui conteste-t-elle sans cesse le droit commun ? Pourquoi s’oppose-t-elle de toutes ses forces et par tous les moyens au libre développement des travailleurs […] ?

Si depuis le 4 septembre dernier la classe gouvernante avait laissé un libre cours aux aspirations et aux besoins du peuple ; si elle avait accordé franchement aux travailleurs le droit commun, l’exercice de toutes les libertés, si elle leur avait permis de développer toutes leurs facultés, d’exercer tous leurs droits et de satisfaire leurs besoins ; si elle n’avait pas préféré la ruine de la patrie au triomphe certain de la République en Europe, nous n’en serions pas où nous en sommes et nos désastres eussent été évités.

Le prolétariat, en face de la menace permanente de ses droits, de la négation absolue de toutes ses légitimes aspirations, de la ruine de la patrie et de toutes ses espérances, a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit le plus absolu de prendre en main ses destinées et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir. 

C’est pourquoi il a répondu par la révolution aux provocations insensées et criminelles d’un gouvernement aveugle et coupable, qui n’a pas craint de déchaîner la guerre civile en présence de l’invasion et de l’occupation étrangères […].

Que les quelques gouttes de sang versé, toujours regrettables, retombent sur la tête des provocateurs de la guerre civile et des ennemis du peuple, qui, depuis près d’un demi-siècle, ont été les auteurs de toutes nos luttes intestines et de toutes nos ruines nationales.

Le cours du progrès, un instant interrompu, reprendra sa marche, et le prolétariat accomplira, malgré tout, son émancipation ! »1

 

Il y a deux choses fondamentales à tirer de cette grande déclaration. 

 

La première, magistralement identifiée par Alain Badiou2, est qu’il s’agit d’une déclaration de rupture avec la Gauche. La Gauche, c’est-à-dire l’ensemble du personnel politique républicain qui, depuis le début du siècle, se présente comme le relais étatique parlementaire légitime des insurrections ouvrières et populaires.

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[…] 

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La deuxième chose à tirer de cette déclaration, quand on la lit cette fois en longueur, est l’élément subjectif dans lequel se déploie la décision politique de rupture avec la gauche. S’il s’agit pour les prolétaires parisiens de prendre le pouvoir, c’est bien en vue de prendre en main la direction des affaires publiques et non pas en vue d’organiser une grande offensive militaire dans le cadre d’une guerre civile prolongée contre la bourgeoisie.

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La suite dans le prochain numéro !

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1 Rougerie Jacques, Paris libre 1871, Seuil, 2004, pp. 121-123.

2 Badiou Alain, Circonstances 5 : L’hypothèse communiste, « La Commune de Paris : Une déclaration politique sur la politique », Lignes, 2009. 

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