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ATELIERS D'ACTUALITÉ COLLECTIVE 

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DEUXIÈME

ATELIER D'ACTUALITÉ COLLECTIVE

 

LE MONTAGE CINÉMATOGRAPHIQUE COMME FORME DE PENSÉE (1)

par Rudolf di STEFANO

LE 17 NOVEMBRE 2025 À 18H

À L'UNIVERSITÉ PARIS 8 VINCENNES – SAINT-DENIS,

MAISON DE LA RECHERCHE, SALLE A2-201

Le calendrier est mis à jour ici tout au long de l'année.

Vous retrouverez également, en suivant, l'introduction des premiers ateliers.

Calendrier

- 22 octobre 2025 : Judith Badiou, « Tenir le pas gagné. France, 1968-2025 : actions politiques ouvrières » (1)

- 17 novembre 2025 : Rudolf di Stefano, « Le montage cinématographique comme forme de pensée » (1)

- 1er décembre 2025 : Judith Badiou, « Tenir le pas gagné. France, 1968-2025 : actions politiques ouvrières » (2)

- 15 décembre 2025 : Rudolf di Stefano, « Le montage cinématographique comme forme de pensée » (2)

*

La revue Ardentes Patiences existe depuis plus de deux ans maintenant : suivant cet esprit de patience qui oriente, depuis l’origine, notre travail, nous sommes intervenus chaque fois que nous estimions être en mesure de le faire. Cinq numéros ont été écrits entre juillet 2023 et juillet 2025, ainsi qu’un appel lors des élections législatives de 2024. Le dernier numéro était consacré au grand mouvement de Serbie, débuté en novembre 2024 : quand la quasi-totalité du spectre politique dit « de gauche » était indifférent sinon méfiant à l’égard de la jeunesse serbe, nous avons relevé son importance et les nouveautés qu’elle porte, sa créativité et son sérieux politique.Jusqu’alors, la revue a eu pour effet de produire, pour nous et, nous l’espérons, pour nos lecteurs et lectrices, de véritables effets de clarifications du réel politique aujourd’hui. Les réunions tenues et les publications qui suivirent nous ont fait sortir le nez du brouillard idéologique dans lequel on nous contraint de nous orienter. Sans plier sous la pression de l’urgence, mais en prenant le temps d’être attentif au réel, a commencé à se dessiner ce que pourrait être, pour aujourd’hui, une « ardente patience » : une capacité à penser collectivement, avec constance et labeur, sans se laisser emporter par les fausses promesses des opinions immédiates, c’est-à-dire un traitement du réel, comme étant ce qui est commun à tous, et qui ne cède ni sur le calme ni sur le courage. En cela, nous pouvons nous déclarer fidèles à nos premiers mots :

 

« Pouvoir penser, pouvoir parler, suppose la subjectivité, la consistance, de femmes et d'hommes qui ne s’en laisseront pas imposer, ni déformer ou briser par l'horreur qui émane du temps extérieur et de la pensée contrainte. Contrainte par les interventions de l'État, par les déclarations de haine qui se multiplient, portées par des politiques sans scrupule, par la prolifération des contre-vérités qui circulent grâce aux réseaux sociaux, par tant de choses qui font de nous aujourd'hui une humanité mutilée, déchirée, divisée, au plus loin de ses capacités à s’envisager et s’organiser du point de principes d'amitié et de paix. »

 

Il y a des choses que l’on ne peut penser qu’en étant ensemble et des créations qui ne peuvent être que collectives. Et si Ardentes Patiences s’est engagée dans le difficile travail de l’actualité politique, c’est aussi constatant le manque de telles intellectualités collectives aujourd’hui. Les réflexes propres à une intelligence partagée semblent s’être dissipés, sinon avoir été détruits par les exigences d’une pensée « rapide », « efficace » et au service des intérêts de la société marchande. Les institutions du savoir, subissant les assauts répétés de l’État, sont fragilisées, les courages restants et les libertés de l’intelligence sont de plus en plus précaires. Dans ces conditions, de telles institutions semblent réduites au malheureux choix : se plier ou disparaître. Se plier, c’est-à-dire accepter les exigences de la privatisation de l’espace public, et former des spécialistes du marché ; disparaître, c’est-à-dire démissionner de l’espace public, ce qui en passe ou  bien par un enfermement sur eux-mêmes des lieux du savoir, ou bien par une littérale disparition. Dans tous les cas, la place de l’intellectualité collective, d’une véritable intellectualité commune, qui ne serait pas celle de spécialistes définitifs de la pensée, mais un lieu ouvert, où une intelligence libre et patiente pourrait s’exprimer et se mettre en travail, par l’épreuve du contact et de la discussion collective, est aujourd’hui une place qui se vide sans cesse.

 

Dans ce contexte, où toute pensée collective semble en souffrance, nous ne prendrions personne à revers en ajoutant qu’aujourd’hui, des populations entières, sous le prétexte d’être nées ici ou là, mais toujours ailleurs, sont sous le joug des plus terribles violences du réel actuel de ce monde. Une vague fasciste, que nous pourrions nommer un « axe anti-étrangers », s’est durablement inscrite dans le décor politique contemporain, qui accompagne les guerres actuelles, les effroyables dévastations en Palestine, les interminables sacrifices des peuples en Ukraine et en Russie, les déportations, actées et appelées, aux États-Unis comme en France. Ces guerres pourraient en préparer de plus terribles encore ; elles constituent, en tout cas, l’horizon sombre de notre présent. Ne pas s’en laisser imposer par les incessantes propagandes de guerre est une gageure qui sera difficile à tenir sans des efforts collectifs pour qu’émane non simplement un refus de la guerre, mais une véritable affirmation de paix.

 

C’est dans cet esprit qu’Ardentes Patiences entame un pas supplémentaire : nous pensons qu’aucune paix n’est possible sans que, à toute échelle, s’entame un travail de recherche à propos de nouvelles conditions de vie collectives, ce qui consiste à travailler à imaginer ce qui manque, en termes de connaissance et de savoir. Les problèmes de pensée de notre contemporain, aux prises et au courant des malheurs de notre temps, nécessitent un travail collectif et un apprentissage commun, à savoir : que chacun – qu’il ait suivi de grandes études, ou non – s’instruise de l’autre – que cet autre, également, ait suivi de telles grandes études, ou non. L’intellectualité collective à laquelle nous voulons travailler nécessite un lieu ouvert, où pourraient se réunir chercheurs et chercheuses, ouvriers et ouvrières, artistes, étudiants et étudiantes, jeunes et vieux, sous condition que la pensée s’instruise de chacun, et sous condition qu’elle soit dirigée vers l’intérêt commun, en cela non pas bornée par les intérêts particuliers du Capital.

 

Nous appelons ainsi à constituer des ateliers de travail collectif, où chacun serait libre de mettre en travail ce qui lui semble, pour aujourd’hui, nécessaire de penser. Il ne s’agirait pas simplement d’additionner des connaissances – dans les différents champs de l’art, de la science, de la politique, de l’histoire ou de la philosophie –, mais de créer l’espace de leur mise en commun, au cœur duquel de nouvelles hypothèses quant à notre présent pourraient se formuler. En cela, ces ateliers d’actualité collective seront ouverts à tout le monde, afin que toute pensée discute avec son dehors, condition essentielle à ce qu’une intellectualité neuve et en partage puisse s’inventer.

Programme des ateliers

- Judith Badiou, « Tenir le pas gagné. France, 1968-2025 : actions politiques ouvrières »

 

Petit commentaire sur ce titre : Lorsque Rimbaud, dans le moment de refermer « Une saison en enfer », note cette injonction, celle-ci s’entend et se lit selon la césure suivante : tenir le pas / gagné – autrement dit : tenir ce qui, si petit soit-il – à échelle d’un pas – a pu être gagné. Dans l’état actuel de la langue, certains l’entendront plutôt selon la césure : tenir / le pas gagné – autrement dit : tenir ce qui n’a pas été gagné, ce qui a été perdu. Les deux lectures se conjuguent et conviennent toutes deux aujourd’hui aux enjeux de ce qui sera présenté et discuté dans cet atelier.

 

C’est seulement à la fin des années 60 du siècle 20 que la question de la nécessaire transformation du lieu usine a surgi comme une question décisive de la politique révolutionnaire :  à travers un ensemble d’actions ouvrières qui ont donné à mai 68 et aux années suivantes en France leur caractère exceptionnel, et, dans le même temps, au cœur d’une séquence essentielle de la révolution culturelle en Chine où se jouait le rapport entre nature du lieu usine et nature du régime politique. Usines et ouvriers ont été les véritables balises politiques des années 60 et 70. Sans ces balises, rien n’aurait existé en matière de figures politiques novatrices. A commencer par la rencontre et la liaison étudiants/ouvriers, emblème d’un déplacement symbolique essentiel : nul n’est tenu de rester à sa place, à la place que lui assigne la société.

Ce surgissement massif et inédit était si crucial qu’il a aussitôt suscité une gigantesque opération de re-mise en invisibilité des usines et du travail ouvrier, dont le mitterrandisme a été en France le grand et sordide ordonnateur. Dans les faits, il s’est agi de déployer à vaste échelle la délocalisation systématique hors Europe des grandes concentrations industrielles ; de mettre en place la généralisation du système de la sous-traitance, qui permet de diluer et d’effacer tout rapport antagonique entre figure patronale et figure ouvrière ; et après introduction – via l’intérim, le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée – d’une précarisation et d’une division de la masse ouvrière, la découverte de la possibilité d’illégaliser la présence en Europe d’un prolétariat nomade, soustrait de la sorte à tout droit du travail, et jeté, par la menace constante de sa déportation, hors des droits de tous. 

Il ne s’agira pas d’une histoire de grèves et de luttes au sens « historien » du terme. Ma méthode sera dans toute la mesure du possible, c’est-à-dire au vu des documents existants, souvent directement en ma possession, de décrire dans leur détail le déroulement et les enjeux de chacune de ces actions, d’en donner en quelque sorte une « biographie » - seul moyen de ne pas s’en tenir à des généralisations hâtives voire abusives, et d’en restituer au contraire la subjectivité et l’événementialité.

- Rudolf di Stefano, « Le montage cinématographique comme forme de pensée »

 

La question de savoir qu’est-ce que le montage cinématographique, est une quête permanente pour les cinéastes. C’est particulièrement le cas pour ceux qui considèrent que le montage est la manière spécifique qu’a le cinéma de penser. Sur ce point les cinéastes sont divisés : d’un côté, ceux qui estiment que le montage est un moyen subordonné au développement d’un sujet ou d’une histoire ; de l’autre, ceux qui considèrent au contraire qu’il s’agit du point central de leur travail et qu’il faut, dans ce domaine spécifique, renouveler les formes et faire des découvertes pour faire avancer le cinéma.

Nous choisirons évidemment d’explorer les travaux de cette deuxième catégorie de cinéastes, en nous demandant à chaque fois comment ont-ils fait un pas de plus dans le domaine du montage cinématographique.

Nous nous appuierons pour cela sur des cinéastes emblématiques de cette question, tels que Eisenstein, Vertov, Péléchian, Bresson, Pollet, Godard, Straub et Huillet, etc. Toutefois l’entrée ne se fera pas pour autant par ces noms propres prestigieux, mais par des formes spécifiques de montage que nous avons identifiées en amont et qui seront mises à l’épreuve par notre enquête. De ce fait la nomination des différents types de montage est encore susceptible d’évoluer. Mais j’ai pour l’instant identifié cinq formes de montage : le montage de contrepoint, le montage à distance, le montage croisé, le montage dialectique et le montage compossible.

Ces cinéastes pratiquent généralement plusieurs formes de montage simultanément dans un même film, mais ils mènent souvent l’une d’entre elles à un point d’impasse, pour inventer une nouvelle possibilité. Ils se distinguent par leur façon spécifique de renouveler un des domaines, en trouvant ainsi une façon inédite de penser par le cinéma.

L’enquête que je propose de mener tentera également d’expliquer pourquoi le montage est si important pour tous ces cinéastes. Il est fort probable qu’ils partagent l’idée que le cinéma, parce que sa matière première est la réalité, se doit d’être formalisé de manière rigoureuse par le montage, afin de faire advenir un réel inapparent. Il est également possible que cela soit pour eux une manière d’éviter de sombrer dans l’imaginaire pur, menace oh combien actuelle dans le champ contemporain audio-visuel, et de mettre leur travail à l’épreuve de la complexité du monde et de l’infini de la vie des gens qui y habitent.

Tout au long de cette enquête, j’accompagnerai mes propos et les notions que j’éclairerai par des exemples spécifiques, en présentant des extraits dans lesquels chaque forme de montage apparaitra de manière explicite. Je les comparerai entre elles, quand cela sera pertinent, mais aussi à d’autres formes plus contemporaines de montage.

Enfin, à chaque séance, je tenterai de réfléchir à la question de la subjectivité, en établissant une analogie entre des formes spécifiques de montage et le type de subjectivité qui en découle. À ce sujet, il me semble que le cinéma propose par le biais de chacun de ces types de montage, une façon singulière de sentir et d’appréhender le monde. Certains montages peuvent parfois se présenter comme des gardiens de formes de subjectivités qui dans notre monde contemporain sont parfois menacées de disparaitre, mais ils peuvent aussi être orientés vers de nouvelles formes de subjectivation.

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