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Contemporanéité de la Commune de Paris (2) 
Julien Machillot, 27 avril 2024

L’Ecole des Actes a publié en 2022 Contemporanéité de la Commune de Paris, une brochure écrite par Julien Machillot. Nous publions aujourd’hui ce texte sous forme de feuilletons dans les numéros successifs d’Ardentes Patiences. Pour ce numéro 1, la seconde partie. Le lecteur « impatient » peut accéder sans attendre au texte entier, qu’il trouvera dans la rubrique « Bibliographie » du site.

Nous avons décidé de publier cet écrit dans notre média dans la mesure où l’étoffe subjective du peuple des communeux de 1871, telle que décrite ici comme subjectivité affirmative de paix, d’égalité et d’amitié collective, se tenant délibérément à distance de l’esprit de guerre civile de la gauche républicaine et porteuse d’une immense capacité d’initiative multiforme et entièrement autonome en regard de l’espace de l’Etat, fait pour nous pleinement partie de ce que la politique d’émancipation contemporaine doit se donner pour tâche de travailler à rendre possible. Merci à l’Ecole des Actes de nous avoir aimablement autorisé à le publier.

 

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Il y a deux choses fondamentales à tirer de cette grande déclaration.

 

[Le lecteur trouvera une version étendue de la déclaration du 21 mars 1871, point de départ de la méditation de cet écrit, dans le numéro 0 d’Ardentes Patiences. Rappelons ici l’énoncé central de cette déclaration, qui a donné tout son sens à l’insurrection du 18 mars : 

« Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques. »]

 

Il y a deux choses fondamentales à tirer de cette grande déclaration.

La première, magistralement identifiée par Alain Badiou1 est qu’il s’agit d’une déclaration de rupture avec la Gauche. La Gauche, c’est-à-dire l’ensemble du personnel politique républicain qui, depuis le début du siècle, se présente comme le relais étatique parlementaire légitime des insurrections ouvrières et populaires. 

Si dans l’Histoire communiste le 20ème siècle a été celui des Etats socialistes, le 19ème siècle a quant à lui été celui des insurrections ouvrières. 

Les 27, 28 et 29 juillet 1830, eut lieu l’insurrection connue sous le nom des « Trois glorieuses », qui mit fin à la Restauration, le régime monarchique constitutionnel de Louis XVIII. 

En février 1848, l’insurrection renversa la monarchie de Juillet dirigée par Charles X et mit cette fois les intellectuels républicains apeurés au pouvoir – ce fut la 2ème République –, qui répondirent dès juin 1848 aux exigences ouvrières par une sanglante répression, préparant ainsi le terrain pour le coup d’Etat de Napoléon III. La deuxième République sonna ainsi l’entrée en scène des exécutions sommaires de masse des gens du peuple au 19ème siècle. 

En septembre 1870, enfin, après la défaite de Napoléon III face à l’armée prussienne à Sedan – Bismarck s’était ingénieusement assuré que la France lui déclare la guerre qu’il souhaitait – l’insurrection remit en selle les bourgeois républicains, fondant ainsi la 3ème République. L’enjeu de l’insurrection populaire était de former un « gouvernement de défense nationale » capable de surseoir à l’impuissance militaire de l’Empire, mais ce gouvernement fut en fait celui de la « trahison nationale ». L’historien Henri Guillemin a le premier définitivement démontré de façon documentée, à partir d’un fond d’archives parlementaires incontestable laissé longtemps de côté, combien la trahison de ce qu’il appelait la « République des Jules » (il y avait Jules Favre, Jules Grévy, Jules Ferry, Thiers restant momentanément en retrait en attendant son heure), a été fomentée, voulue, combien la véritable préoccupation de tous ces républicains n’étaient pas l’ennemi prussien mais la trouille, la peur panique qu’ils avaient des « Bellevillois », les ouvriers parisiens. Des armes et des canons avaient été distribués à la Garde nationale parisienne en vue d’un possible siège prussien ; le premier et principal objectif du gouvernement républicain fût de mettre en place les conditions d’un désarmement de Paris. C’est ce dont se chargea le sinistre général Trochu, principal militaire qui, usant de sa popularité usurpée, assura la capitulation et la soumission à Bismarck. La seule exception dans cette affaire fût Gambetta, le seul qui – il faut le dire à son honneur – refusa tout esprit de capitulation et maintint jusqu’au bout le cap d’une tentative de recomposition de l’armée française dans le but de stopper l’avancée des troupes prussiennes, recomposition avortée par les basses manœuvres de l’ensemble des autres membres du gouvernement.

C’est dans ce contexte qu’eut lieu l’insurrection du 18 mars. Les Prussiens encerclent Paris au nord et à l’est. Ils y resteront, car après l’insurrection Bismarck refusera de faire entrer ses troupes dans Paris pour mater les communards. A trois heures du matin, les troupes gouvernementales s’éparpillent dans Paris avec comme objectif de récupérer les 250 canons de la Garde nationale et de les sortir de la Ville. Bientôt les faubourgs s’éveillent et ce sont les femmes qui s’opposent les premières à l’enlèvement des canons. Lissagaray : « Les femmes partirent les premières comme dans les journées de la Révolution. Celles du 18 mars, bronzées par le siège – elles avaient eu double ration de misère – n’attendirent pas leurs hommes. Elles entourent les mitrailleuses, interpellent les chefs de pièce : « C’est indigne ! Qu’est-ce que tu fais là ? »2 » Elles sont ensuite rejointes par les gardes nationaux. Les troupes fraternisent, refusent de tirer sur la population, quelques généraux et gendarmes sont arrêtés. L’insurrection a lieu sans bain de sang, les canons sont repris et remis en place. Le gouvernement, se voyant abandonné y compris par les bataillons bourgeois de la Garde nationale, s’enfuit à Versailles. Le Comité central de la Garde nationale se retrouve au pouvoir, à l’Hôtel-de-Ville, de façon tout à fait inattendue.

Pour la première fois, on a bien affaire à une insurrection victorieuse non plus contre une monarchie ou un Empire, mais contre une République. Suivra dans les heures ou jours qui suivent la fameuse déclaration citée plus haut. A son propos, Alain Badiou ajoute :

« Cette fois, cette unique fois, on ne remet pas son destin entre les mains des politiciens compétents. Cette fois, cette unique fois, la trahison est invoquée comme un état de choses auquel il faut se soustraire, et non comme une conséquence malheureuse de ce qu’on a choisi. Cette fois, cette unique fois, on se propose de traiter la situation à partir des seules ressources du mouvement prolétaire. 

Il y a là, réellement, une déclaration politique.

Tout le point est d’en penser le contenu.

Mais d’abord une définition structurale essentielle. Appelons « la gauche » l’ensemble du personnel politique parlementaire qui se déclare seul apte à porter les conséquences générales d’un mouvement politique populaire singulier. Ou, dans un lexique plus contemporain, seul apte à fournir aux « mouvements sociaux » un « débouché politique ». 

La déclaration du 19 mars 1871 peut alors être décrite précisément : c’est une déclaration de rupture avec la gauche. »

Badiou ajoute, à juste titre : « C’est précisément cela qu’on a fait payer dans le sang aux communards.3 »

On a fait payer dans le sang aux communards le fait d’avoir osé, pour la première et unique fois dans l’histoire moderne, s’appuyer sur leur propre force, sur leur propre capacité politique ouvrière et populaire à prendre en charge la direction des affaires collectives.

La deuxième chose à tirer de cette déclaration, quand on la lit cette fois en longueur, est l’élément subjectif dans lequel se déploie la décision politique de rupture avec la gauche. S’il s’agit pour les prolétaires parisiens de prendre le pouvoir, c’est bien en vue de prendre en main la direction des affaires publiques et non pas en vue d’organiser une grande offensive militaire dans le cadre d’une guerre civile prolongée contre la bourgeoisie. Le 18 mars est une insurrection victorieuse dans la mesure où, échouant à reprendre les canons de la garde nationale essaimés dans Paris, les membres du gouvernement républicain sont forcés de s’enfuir et se réfugient à Versailles. Thiers se sauve de l’Hôtel de Ville par un escalier dérobé, Jules Ferry s’enfuit in extremis de l’hôtel du Louvre cerné par les gardes nationaux, en sautant par une fenêtre. Après le 18 mars, la Commune ne se donne ni ne s’envisage comme une insurrection prolongée, ayant comme objectif immédiat la prise de possession ou à la destruction complète de l’Etat moderne – instrument de la domination de classe du capital sur le travail –, mais comme une immense capacité d’initiative affirmative, multiforme et créatrice de prise en main de l’ensemble des conditions nécessaires de la vie collective en vue de l’émancipation des ouvriers, du peuple parisien et au-delà. A ce titre, la rupture avec la gauche est aussi le refus de l’enfermement dans l’espace de la guerre civile qui est le lot inévitable de ses trahisons. Avec le 18 mars, il ne s’agit pas de remporter la guerre civile, mais d’y mettre fin autant que possible pour passer à autre chose. De mettre à distance la guerre civile en même temps que l’espace de l’Etat dont elle est l’inévitable corollaire lorsqu’est en jeu la question d’une capacité politique ouvrière et populaire. L’émancipation ouvrière ne passe pas par la concentration militaire et répressive dans une guerre civile où il faudrait remporter la victoire, mais par la capacité à prendre en main les affaires publiques, capacité valant démonstration de l’émancipation réelle, donc absolument légitime, des ouvriers parisiens. C’est donc dans l’élément subjectif et affirmatif de la paix et non pas négatif de la guerre, que se déploie la spectaculaire et inventive capacité d’initiative de la Commune. La rupture avec la gauche est aussi rupture avec l’insurrection comme seul et ultime moyen d’action politique des classes populaires. Après le 18 mars, on bascule dans tout à fait autre chose, qui ne se donne plus en termes de subjectivité insurrectionnelle, mais en termes de capacité politique populaire autonome et affirmative. Comme l’écrit Lissagaray, après le 18 mars, « Qui donc parlait de guerre civile ? L’Officiel seul4 », c’est-à-dire le journal des républicains versaillais.

Il y a dans l’immense ouvrage de Lissagaray, sans lequel tant de choses auraient été englouties dans l’oubli, maintes descriptions de la dissymétrie entre la subjectivité de guerre républicaine versaillaise, tout entière tendue vers la volonté d’exterminer la Commune, et la subjectivité de paix qui règne dans Paris « ville ouverte ». En voici un bel exemple : « Le Lazare de l’empire, du siège, ressuscitait. Ayant arraché la taie de son cerveau, secoué ses bandelettes, il allait commencer une existence neuve, vivre de sa tête, de ses poumons, tendre une main fraternelle à toutes les communes françaises régénérées. Les désespérés du mois dernier rayonnaient d’enthousiasme. On s’abordait, sans se connaître, frères par la même volonté, la même foi, le même amour. 

Le dimanche, 26 mars [grand jour des premières élections communales], est un renouveau. Paris respire, comme au sortir des ténèbres ou d’un grand danger. A Versailles, les rues sont sinistres, les gendarmes tiennent la gare, exigent brutalement des papiers, confisquent les journaux parisiens, au moindre mot de sympathie pour la Ville vous arrêtent. A Paris, on entre librement. Les rues sont vives, les cafés bruyants ; le même gamin crie le Paris-Journal et la Commune ; les attaques contre l’Hôtel-de-Ville, les protestations de quelques enfiellés, s’étalent à côté des affiches du Comité central. Le peuple n’a plus de colère, n’ayant plus de crainte. Le bulletin a remplacé le chassepot.5 »

On touche là un point essentiel. Le bilan communiste – jusqu’à la Révolution culturelle chinoise en partie incluse –, ou plus précisément le bilan marxiste-léniniste, de la Commune revient globalement à l’envisager du point de ses supposées faiblesses, de ses « fautes », qui seraient fondamentalement une défaillance guerrière, militaire, d’un côté, et l’incapacité d’aller jusqu’au bout de l’expropriation des expropriateurs, de l’autre. Tout le bilan de la Commune se concentrerait in fine dans la question : à quelles conditions une prise de pouvoir semblable à celle du 18 mars peut avoir une chance d’être réellement victorieuse, c’est-à-dire durer sans se laisser écraser par l’ennemi ? C’est la question qui hantera Lénine et à laquelle il répondra par la création politique de la figure du Parti révolutionnaire. Mais c’est là en définitive recouvrir quelque chose du caractère de victoire intrinsèque de la Commune, et Lénine lui-même y sera confronté peu avant sa mort lorsque, faisant le bilan du caractère corrupteur de l’Etat dans le cadre de la dictature du prolétariat, il cherchera les moyens de faire exister un espace politique extérieur à l’espace de l’Etat, autonome et capable de le mettre sous contrôle ouvrier et populaire. Ce n’est pas non plus à proprement parler le bilan de Marx dans son grand texte, dans lequel il affirme que « La grande mesure sociale de la Commune, ce fût sa propre existence et son action6 ». Marx est le premier des contemporains de la Commune à rendre radicalement justice à sa positivité intrinsèque, à son extrême singularité événementielle. Mais lui-même, déjà, écrit que dans les jours qui ont suivi le 18 mars, « dans sa répugnance à accepter la guerre civile engagée par Thiers […], le Comité central commit, cette fois, une faute décisive en ne marchant pas aussitôt sur Versailles, alors entièrement sans défense, et en mettant ainsi fin aux complots de Thiers et de ses ruraux ». Cela aurait sans doute été une « faute décisive » si le but de la Commune avait été d’accepter la guerre civile et de la conduire jusqu’à la victoire. Mais ce n’était précisément pas le mobile qui la faisait exister. Cette « répugnance à accepter la guerre civile » était en fait une volonté positive massivement partagée de constituer un espace politique propre et entièrement autonome, plutôt que d’accepter de se laisser constituer en vis-à-vis de la haine mortelle des bourgeois républicains à leur égard. 

Cela ne signifie pas que la politique de la Commune était une politique pacifiste, au sens où on l’entendra malheureusement tout au long du 20ème siècle. La subjectivité de paix est une subjectivité politique et non morale. Quand l’armée républicaine réunie par Versailles pénètre dans Paris en mai, les habitants ne font pas des manifestations pacifiques sans armes, car ils savent que ça n’aurait aucun sens, ils reprennent spontanément les armes et dressent les barricades pour se défendre. Ce n’est pas qu’ils sont contre la guerre en général, puisque ce qu’ils reprochent aux républicains du 4 septembre, c’est précisément d’avoir capitulé face à la Prusse pour s’en prendre à eux. Le pacifisme politique de la Commune n’en fait pas une politique de pacifistes, mais une politique de paix, ou plus précisément une politique d’émancipation dans l’élément de la paix, parce que dans l’élément de la prise en main post-insurrectionnelle collective tout à fait enthousiaste et sérieuse des affaires publiques. Par ailleurs, même si l’Assemblée versaillaise était momentanément désarmée, la Prusse ayant fait prisonnier l’essentiel de l’armée française, les troupes restantes refusant de se battre contre « leurs frères de Paris » et seuls quelques mercenaires bretons ayant répondu à l’appel aux armes de Thiers, marcher sur Versailles aurait certainement eu le même effet que l’insurrection du 18 mars : les Thiers et les Jules s’enfuyant ailleurs, et revenant plus tard avec une armée constituée. C’était d’ailleurs l’avis de Lissagaray : « Que leurs services les absolvent [les « obscurs » de L’Hôtel de Ville] d’avoir laissé sortir l’armée, les fonctionnaires et réoccuper le Mont-Valérien. On dit qu’ils auraient dû marcher le 19 et le 20 sur Versailles. L’Assemblée, à la première alerte, aurait gagné Fontainebleau avec l’armée, l’administration, la Gauche, tout ce qu’il fallait pour gouverner et tromper la province. L’Occupation de Versailles n’eût fait que déplacer l’ennemi, n’eût pas été longue ; les bataillons populaires étaient trop mal préparés pour tenir en même temps cette ville ouverte et Paris.7 » L’ennemi, quoique temporairement affaibli, restait de toute façon à terme militairement plus puissant. La Commune, même entièrement organisée autour de l’objectif d’une guerre civile continuée, n’avait pas les moyens de vaincre militairement de façon définitive la bourgeoisie française, et d’ailleurs toutes les autres tentatives d’instauration de Communes à Lyon, Saint-Etienne, au Creusot, à Marseille, Toulon et Narbonne ont rapidement échoué.

De la même façon, on peut toujours critiquer sévèrement la vague tentative du 3 avril de marcher sur Versailles. Critiquer l’échec de cette sortie, avec trois colonnes d’ouvriers parisiens mal informées de leur objectif, s’avançant sous les feux de l’ennemi sans éclaireurs, sans artillerie et en manquant cruellement de munitions, troupes inorganisées, encadrées par des généraux totalement inexpérimentés, d’où deux des principaux et des meilleurs commandants, Flourens et Duval, assassinés sans pitié par les Versaillais, ne reviendront jamais, sortie décidée par une Commission exécutive divisée, allant jusqu’à décréter la séparation de l’Eglise et de l’Etat ainsi que l’abolition du budget des cultes en même temps qu’elle discute de la sortie sur Versailles, puis tout à fait incapable de diriger efficacement l’exécution de la stratégie décidée.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat n’en est pas moins une des grandes mesures de la Commune, sans précédent !

Le 3 avril :

« La Commune de Paris,

Considérant que le premier des principes de la République française est la liberté,

Considérant que la liberté de conscience est la première des libertés, 

Considérant que le budget des cultes est contraire au principe, puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi, 

Considérant, en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté,

Décrète :

  • Art. 1. L’Eglise est séparée de l’Etat.

  • Art. 2. Le budget des cultes est supprimé.

  • Art. 3. Les biens dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales.

  • Art. 4. Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens, pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la Nation. »8

Il y eut enfin, lors de la « semaine sanglante », l’absence de toute véritable capacité dirigeante à définir une stratégie cohérente de défense de Paris alors que des milliers d’hommes et de femmes se faisaient massacrer sur les barricades, avec le sinistre exemple de Jules Vallès sortant incognito distribuer des bons de hareng sur les barricades, se faisant cracher dessus par les ouvriers lui demandant « Où sont les ordres ? ».

Le problème est que tout cela revient à manquer la singularité politique et la portée historique réelle de la Commune de Paris. En réalité, ces supposées faiblesses furent sa force. D’abord, si la Commune s’était focalisée sur cette tâche précise, elle n’eût tout simplement pas été la Commune car, ce faisant, elle n’aurait pas eu le loisir de faire tout le reste, c’est-à-dire de réaliser ce qu’elle a effectivement réalisé. Ensuite, c’est ce qu’a réellement fait la Commune, et non ce qu’elle n’a pas fait, qui fait d’elle un événement historique de la politique encore contemporain pour nous, en ce sens qu’à travers ce qu’elle a réalisé, elle nous indique la direction politique que nous avons à suivre aujourd’hui.

Quelle est cette direction ? En décidant de rompre avec la Gauche et de prendre en main la direction des affaires publiques, la Commune invente un espace politique entièrement nouveau, inédit, qui se caractérise par son autonomie affirmative en regard de l’espace de l’Etat moderne, instrument parlementaire de la domination bourgeoise. Dans son grand texte, Marx, citant la déclaration d’où nous sommes partis, ajoutait : « Mais la classe ouvrière ne peut pas prendre tout simplement possession de la machine d’Etat toute prête, et la faire fonctionner pour son propre compte9 ». C’est effectivement ce qui se passe : la Commune construit un espace politique entièrement fondé sur une capacité d’initiative égalitaire ouvrière et populaire, se donnant ainsi les moyens d’un nouveau type, c’est-à-dire d’un type tout à la fois non-étatique et intérieur à une figure de peuple en capacité d’en garder le contrôle, de médiation politique dirigeante. Tout le point est que l’existence de cet espace politique fondé sur un principe d’égalité n’a pas pour condition la destruction de l’espace de l’Etat, puisqu’il coexiste au contraire avec lui – en l’occurrence avec l’Assemblée de Versailles –, dans une extériorité radicale et cherchant la voie de sa rigueur organisée.

La Commune avait une conscience aigüe de l’extrême singularité de l’espace politique qu’elle était en train de fonder.

 

Suite à venir !

​

1 Badiou Alain, Circonstances 5 : L’hypothèse communiste, « La Commune de Paris : Une déclaration politique sur la politique », Lignes, 2009. 

2 Lissagaray Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, p. 112.

3 Badiou Alain, Circonstances 5 : L’hypothèse communiste, op. cit.

4 Lissagaray Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, op. cit., p. 122.

Ibid.,  p.151-152.

6 Marx Karl, La guerre civile en France, in Marx Karl & Engels Friedrich, Inventer l’inconnu : Textes et correspondance autour de la Commune, Paris, La Fabrique, 2008.

7 Lissagaray Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, op. cit., p.150.

8 Rougerie Jacques, Paris libre 1871, Seuil, 2004, p.168.

9 Marx Karl, La guerre civile en France, op. cit.,  p.151.

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